L’Homme et ses images intérieures

origine de la danse

Publié le : 04 janvier 201723 mins de lecture

Marche sur le feu et origine de la danse

France Schott-Bellmann

Quand une passion vous tient, si vous avez la sagesse de la nourrir, il arrive qu’elle  vous devienne un double. Il y a plusieurs années de cela, de retour d’Afrique, France Schott-Billmann ramenait un film vidéo qui devait être à l’origine d’un itinéraire bien singulier. De ces images de fêtes africaines, France Schott-Bellman sut s’inspirer pour donner un souffle novateur de sa pratique psychanalytique. Elle parcourt la France depuis pour faire connaître cette danse primitive qui replonge l’occidental au cœur de sa forêt sacrée

L’Association des deux parties de ce titre peut sembler étrange, suggère peut-être que la danse aurait commencé sur le feu, à partir d’une performance spectaculaire redevenue à la mode et dont les médias se font largement l’écho depuis quelques mois.

Il ne s’agit pas de cela: la danse n’a pas commencé sur le feu, mais elle lui est liée depuis toujours dans la pensée indo-européenne et c’est ce lien que nous interrogeons aujourd’hui.

Deux exemples, pour commencer, concernent les deux célèbres dieux danseurs, celui de l’Inde, Shiva, celui de la Grèce, Dionysos.

Shiva, le maître suprême de la danse, pour autant qu’il est la source cosmique du rythme et de l’harmonie, est constitué de deux éléments: l’un mâle, l’autre femelle: ce caractère bisexué est représenté, soit par son association avec une compagne symbolisant sa moitié féminine – Parvati ‑, soit par un aspect androgyne, soit encore lorsqu’il danse1, par le tambour en forme de sablier, constitué de deux crânes-triangles accolés par la pointe; ce sont les deux principes complémentaires: le LINGA (phallus) et le YONI (sexe féminin). De leur rencontre naît le rythme sur lequel Shiva danse en créant ainsi le monde par cette danse cosmique, origine de tout ce qui existe. Shiva est représenté avec quatre bras, ce qui symbolise sa domination sur les quatre directions de l’espace et sa maîtrise des quatre éléments. Une de ses deux mains droites porte ce tambour bisexué cependant qu’une de ses mains gauches tient le feu sacré: celui-ci est double ce qui est traduit par deux danses: associé au linga (ou lingham) il symbolise la création, la flamme naît, grandit et danse; la danse de création se nomme « Nadanta ». Mais Shiva est ambivalent. Non content d’avoir deux sexes, il associe également création et destruction: c’est la danse « Tandara », exécutée sur les bûchers funéraires. Il s’agit ici de la valeur destructrice-purificatrice du feu, soulignée par un rituel védique, le « Homa » au cours duquel les fidèles font semblant de jeter dans les flammes leur vie sensorielle pour parvenir au détachement libérateur.

C’est parce qu’il a brûlé en lui sa semence que Shiva, dieu de l’abstinence appelé « le Seigneur du craquement du feu », est capable de cette double énergie: du pied droit il anéantit le mal figuré par le nain noir « Muyalaga », cependant que sa jambe gauche est levée pour signifier qu’il danse. Il danse avec 1’eau, l’air, le feu, la terre et ainsi il met la nature en branle, en vibration par le rythme de sa danse.

Si on résume les éléments constituant la figure de Shiva, on trouve donc:

o       Les oppositions mâle/femelle, création/destruction,

o       La présence du feu,

o       La danse.

Dionysos est associé à Déméter, déesse de la Terre qui préside au rythme de la végétation, mourant l’hiver en rentrant sous terre et ressuscitant au printemps.

Très curieusement, la structure de Dionysos comporte les mêmes caractères si on se réfère au Dionysos ésotérique, c’est-à-dire à celui qu’on adorait non pas au grand jour, mais dans le secret, en particulier dans le cadre de ces cultes mystiques ésotériques qu’on appelait les mystères. Et j’insisterai ici sur les mystères d’Eleusis dont il existe toujours encore, en Grèce du Nord, un témoignage, un culte fossile, un musée vivant sur lequel je reviendrai tout à l’heure.

A Eleusis, on honore Dionysos associé à Déméter la déesse de la Terre qui préside au rythme de la végétation mourant l’hiver en rentrant sous terre comme sa fille Perséphone, et ressuscitant au printemps. Dionysos, circulant lui-même des enfers à la terre pour autant qu’à la différence des dieux olympiens, il meurt et renaît, est lui-même pris dans le cycle de destruction-création comme il est pris dans sa complémentarité sexuelle avec Déméter au point qu’on peut parler d’une syzygie, c’est-à-dire une entité bisexuée, dont le versant masculin est représenté par Dionysos, le versant féminin par Déméter. Par son caractère danseur et par cette dualité il se rapproche donc de Shiva. Mais où trouver le feu ? Déjà dans son origine: Dionysos est un rescapé du feu puisque, on se le rappelle, son père Zeus recueillit le fœtus de Sémélé foudroyée et acheva lui-même la gestation de Dionysos dans sa propre cuisse; Zeus est donc pris lui-même à cette occasion dans cette androgynie qui marque tous les thèmes dionysiaques.

On sait aussi qu’une des épreuves initiatiques des mystères d’Eleusis consistait à passer à travers le feu. On sait enfin que l’initiation comportait une expérience corporelle accompagnée de musique. On peut donc sans invraisemblance parler de danse mais il serait abusif de parler de danse sur le feu car le secret des mystères a été bien gardé.

Pourquoi donc les dieux danseurs ont-ils la particularité de se référer explicitement à la bisexualité et au feu ? Ces trois éléments associés signifient-ils quelque chose en rapport avec l’essence, la nature de la danse ?

Pour tenter de répondre à cette question nous nous tournerons vers un rituel de danse sur le feu qui existe toujours, encore à l’époque actuelle en Grèce du Nord; dans plusieurs villages. Il est adressé à deux saints orthodoxes Saint Constantin et Sainte Hélène, qui ne sont autres que le déguisement chrétien du couple Dionysos-Déméter héritier des Grands Dieux préhelléniques.

En effet, les mystères d’Eleusis, interdits par l’empereur Théodose en 391, se sont poursuivis secrètement malgré les persécutions, ont pris le maquis dans les Balkans et se sont syncrétismes, comme dans de nombreux cas de résistance au christianisme2, avec les contenus chrétiens.

Le cadre de cet article ne permet pas de préciser la filiation Dionysos-Constantin et Déméter-Hélène3 ni d’exposer les relais par lesquels l’Empire Romain en la personne de l’empereur Constantin et de sa mère Hélène a pu assurer I ‘ancrage de l’héritage hellénique dans une pratique orthodoxe alors qu’il a été refoulé partout ailleurs par le christianisme. Cet héritage a survécu en Thrace bulgare d’où il est revenu en Grèce du Nord lors du partage des Balkans en 1912.

La fête Saint Constantin/Sainte Hélène dure trois jours, les 21, 22 et 23 Mai. Il est impossible, faute de temps, de la décrire en détail, débutant par la salutation de l’icône, elle se poursuit par de la danse devant elle, puis avec elle (les fidèles font danser l’icône en la tenant dans leurs bras), elle comporte ensuite le sacrifice d’un taureau, cuit et mangé par les membres du groupe, elle culmine enfin par la danse pieds nus sur les braises, performance très attendue et pour laquelle des milliers de visiteurs se déplacent de toute la Grèce voire même de l’étranger car les pieds ne sont pas brûlés.

Nous nous arrêterons à trois étapes de ce rituel, car il nous est apparu que l’ordre de son déroulement n’est pas arbitraire et correspond en tous points à ce que la psychanalyse a repéré comme processus de formation du sujet dans les étapes du développement de l’enfant. Le rituel réactive ces trois étapes.

Saint Constantin/Hélène, entité double et bisexuée

1ère étape

Les fidèles se recueillent de­vant les icônes. Elles représentent les deux saints, Constantin et Hélène unis et séparés en même temps par une haute croix centrale. Les deux saints, fêtés le même jour, sont toujours représentés ensemble et les membres du groupe les appellent le saint. Il s’agit donc du saint Constantin/Hélène, entité double et bisexuée. C’est cette figure androgyne que salue et contemple le fidèle au début de la cérémonie. Image qui interpelle chacun à un niveau très profond pour autant qu’elle réactive l’état expérimenté par l’enfant lorsque sa mère et lui se complètent, formant un être double, une dyade fusionnelle (fils-mère). Cette étape est dite narcissique en référence au mythe de Narcisse qui, capté par son double renvoyé par le miroir, s’abîme dans la fusion mortelle avec cet Autre lui-même.

On sait que, sous peine de psychose, l’enfant doit se décoller psychiquement de sa mère pour accéder à l’autonomie, à l’état de sujet que Lacan repère comme lié à la possibilité de parler, l’enfant étant étymologiquement l’infant, celui qui ne parle pas.

Pourquoi ce lien ? Quel rapport entre la séparation d’avec la mère et la parole ? Freud en son temps y avait déjà répondu en décrivant et interprétant le jeu qu’avait inventé son petit-fils âgé de 2 ans, se consolant de l’absence de sa mère, jeu que Freud baptisa du nom de « fort-da » (« loin-près »). L’enfant, en l’absence de sa mère s’amusait à lancer une bobine tenue par un fil en criant « ô », ce que Freud interpréta comme signifiant « fort » (loin en allemand) puis à la ramener vers lui en criant « â », qui, selon son grand-père voulait dire « Da », « près ». La bobine symbolisait donc la mère allant et venant et l’enfant, devenu ainsi capable d’anticiper son retour par l’identification de la bobine avec la mère, ne se désespérait plus de son absence4.

Pour simple qu’il paraisse, ce jeu que sous des formes variées tout enfant invente et qui fonde toute son élaboration symbolique ultérieure suppose des acquisitions complexes qu’en même temps elle rend possibles et consolide.

1 – L’enfant doit avoir opéré une première mise en ordre du chaos dans lequel il est initialement plongé en y reconnaissant des oppositions: les premières qu’il appréhende sont l’opposition entre intérieur et extérieur de son corps, grâce aux sensations et aux expériences centrées sur son orifice buccal et sur son orifice anal, et l’opposition entre bonne et mauvaise mère, la même mère étant perçue comme deux personnes, l’une bonne parce qu’elle comble l’enfant par sa présence, ses soins, sa nourriture, l’autre mauvaise parce qu’elle le quitte par moments. Cette distinction est donc liée à la présence/absence, or l’absence est pour lui un désespoir immense comparable, du fait qu’il n’a pas les mots, à ce qu’est pour nous la séparation par la mort.

2 – Cette dualité est l’amorce de toutes les séries d’oppositions que l’enfant reconnaît peu à peu: grand/petit, gentil/méchant, chaud/ froid, lumière/ténèbres, ouvert/fermé, vêtu/nu, riche/pauvre, fini/infini, etc. I1 découvre que dans chacun de ces couples d’opposés un des termes n’a de sens que par rapport à l’autre dans un jeu d’absence-présence: « grand » est l’absence (ou la négation qui revient au même) de « petit », et la présence de « grand », « gentil » est l’absence de «méchant », etc.

Le jeu du « fort-da » est donc un jeu de l’absence-présence de la mère qui fait tenir ensemble la présence et l’absence (qui les unit : « symbole » = « qui unit »), de la mère ce qui permet à l’enfant de comprendre que les deux caractères ‑ bon et mauvais ‑ sont en réalité portés par une même mère tantôt présente tantôt absente.

3 – De deux mères il passe à l’idée d’une « mère à deux temps », ce qui lie le « fort-da » et le rythme binaire.

4 – Cette mère pouvant revenir continue donc à exister dans l’absence, à condition d’être nommée, évoque, donc rendue symboliquement présente dans son absence.

Avec le jeu du « fort-da », comme avec tous les jeux de cache-cache ou de «coucou le voilà » qui sont de même nature, l’enfant découvre la symbolisation, donc la possibilité du langage, inventé au départ pour consoler de l’absence.

On voit donc que la symbolisation implique la notion du temps, la découverte du rythme binaire puisqu’il faut l’alternance de deux moments, un moment de présence un moment d’absence pour pouvoir symboliser la chose.

Remarquons au passage que la symbolisation n’est pas verbale et que dans le jeu décrit par Freud elle utilise :

‑ Des phonèmes ô, â, avec opposition d’un son fermé et d’un son ouvert

‑ Un objet, bobine

‑ Un geste, bras tendu, bras replié.

La question à résoudre est évidemment celle de l’équipement qui va rendre possible chez l’enfant, la mise en œuvre de cet outil auquel l’animal ne peut accéder, la symbolisation. Qu’est-ce qui lui permet de penser le temps ?

Une réponse pourrait bien nous en être fournie par la lecture du rituel grec. En effet, nous n’avons pas encore observé le troisième élément de l’icône, la croix, située en son centre, unissant/séparant les deux moitiés du saint double. La croix dont il s’agit est antérieure à celle de Jésus-Christ. Il s’agit d’un symbole très ancien, repéré dès l’aube des temps historiques, la figuration schématique la plus ancienne du corps humain debout, les bras tendus à l’horizontale. Lacroix est aussi comparable aux quatre bras de Shiva symbolisant sa domination sur les quatre éléments ; elle opère une classification dans la représentation du monde.

Contemplant l’icône, le fidèle contemple non seulement la dyade qu’il forme avec sa mère, mais aussi, comme dans un miroir, le reflet de sa propre image, de son propre corps symbolisé par la croix et constitué de deux parties symétriques, l’une «masculine », Constantin, l’autre « féminine », Hélène, ce qui nous renvoie à la bisexualité constitutive de l’être humain repérée comme bisexualité psychique par Freud et nommée animus/anima par Jung.

Il y a donc une correspondance entre la bisexualité du saint, celle de l’être humain, et la morphologie de son corps, constituée de deux moitiés accolées. La croix symbolise non seulement le corps du sujet mais cette division radicale entre deux parties hétérogènes qu’on repère comme conscient/inconscient en psychanalyse, corps et âme en religion, matière/esprit en philosophie, etc.

On sait que l’enfant est fasciné par ses extrémités, jouant à l’infini avec ses deux mains, ses deux pieds, donc ces deux demi corps dont il est fait. Le jeu des marionnettes montre, par la jubilation qu’il lui procure, que les mains5 représentent pour lui des entités. Il est logique de penser que ces couples de membres serviront de supports symboliques corporels aux couples d’oppositions évoqués plus haut. Etant donné la motricité très imparfaite de l’enfant, ce n’est qu’au cours de sa deuxième année qu’il acquerra la marche.

Le lien de la danse avec le rythme constitutif de la symbolisation sépare le domaine humain du registre animal

2ème étape

Or la deuxième étape du rituel voit le démarrage devant les icônes qui trônent sur une étagère, d’une pulsation des pieds frappant vigoureusement et rythmiquement le sol: les deux moitiés du corps, représentées ici par les pieds, se mettent à battre l’une après l’autre. Si, comme on peut le penser, chacun des deux pieds représente un des deux termes d’un couple d’opposés, la marche rythmée entraîne psychiquement la mise en branle des oppositions binaires, donc le processus de symbolisation. Par la pulsation répétée et rythmée des pieds, peuvent défiler toutes les séries d’oppositions, dansées sur une cadence basique, à deux temps, dans une sorte de marche sacrée qu’accompagnent bientôt le tambour et les lyres dont les sonorités, elles-mêmes opposées et complémentaires, créent une musique qu’on pourrait dire, elle aussi, bisexuée. On retrouve le contexte de Dionysos et de Shiva: la danse et les oppositions binaires qui sont à son origine. Ce lien de la danse avec le rythme constitutif de la symbolisation sépare le domaine humain du registre animal où la motricité du corps ne devient pas support de représentations.

On assiste ainsi à la naissance simultanée d’une activité rythmée des pieds, associant temps et mouvement, donc une danse, en même temps que d’une activité psychique (inconsciente ?) par laquelle se joue, par le corps, une alternance d’absence présence où s’originent à la fois le langage et la danse.

Comme le feu de Shiva, le feu

3éme étape

Mais si on comprend le lien entre danse et oppositions binaires, symbolisées ici par le masculin-féminin, quelle signification peut bien avoir la présence du feu dans ce contexte ? Rappelons-nous que dans le contexte indien le feu est lui-même ambivalent et abordons la troisième étape du rituel.

Elle consiste, nous l’avons dit, en une danse sur le feu. Voyons si elle peut nous éclairer (!) sur le rôle de cet élément en ce qui concerne la danse.

Il s’agit d’un feu qui ne brûle plus, un feu vaincu, un feu rendu inoffensif. Les fidèles sont incombustibles, comme si la part impure d’eux-mêmes avait déjà brûlé et qu’il ne restait que la part pure, celle que le feu ne peut brûler.

C’est précisément cette part brûlée, sacrifiée, qu’il faut interroger, en commençant par questionner les fidèles eux-mêmes, sur la signification du feu.

Nous ne serons pas étonnés de découvrir que, comme le feu de Shiva, le feu grec est double :

‑ Il est le diable à vaincre, de la même façon que Shiva terrasse le nain noir qui symbolise le mal. Pour cette raison, les fidèles grecs piétinent le feu jusqu’à son extinction ;

‑ Mais il est aussi synonyme de jouissance à connotation sexuelle. L’un des membres du groupe répond un jour à une ethnologue grecque, Yvonne de Sikké, qui l’interrogeait sur son bien-être évident après la performance: « jamais une femme n’a été aussi douce que le feu ce soir »…

Feu-femme-diable, il s’agit évidemment de la représentation du fantasme de la femme dangereuse, diabolique, mortifère, pour autant qu’elle aspire à engloutir et anéantir l’enfant dans la fusion.

C’est ce danger qui est maîtrisé triomphalement par la marche sur le feu que les danseurs, protégés par les icônes ou de simples foulards qui les ont touchées, affrontent impunément. Est-ce à dire qu’ils ont renoncé au commerce amoureux et pratiquent, comme Shiva, I ‘abstinence ?

Non bien sûr, mais il s’agit bien là aussi de renoncement; en effet, la femme dangereuse, la mère mortifère n’est maîtrisée que pour autant que le danseur s’est purifié, c’est à dire extrait de la fusion qui fait jouir l’enfant mais le prive de parole jusqu’à ce qu’il soit capable, en jouant rythmiquement avec les oppositions, de maîtriser l’absence de sa mère, donc de s’en séparer en devenant sujet autonome et parlant.

Il accède alors à une autre jouissance, celle du symbolique, faite du renoncement au corps de la mère, pour « ne jouir que de la nommer » selon la formule du poète Aragon. Rappelons ici que les signifiants utilisés pour symboliser la mère ne sont pas que verbaux, mais aussi corporels et que la danse est à ce titre une langue à part entière. Elle est même vraisemblablement la, première de toutes, pour autant que l’être humain passe à la langue par le corps : le lieu de la jouissance (le corps à corps fusionnel avec la mère) devient l’instrument de la séparation par la mise en jeu, grâce à l’alternance binaire, des opposés symétriques symbolisés par les deux moitiés du corps, et particulièrement les pieds en train de marcher.

Voilà une exégèse possible des messages que nous lancent à travers les siècles, Shiva et Dionysos, et leur audience toujours actuelle tient probablement à ce que ce message parle directement à notre inconscient, comme les images poétiques qui, d’un coup d’ailes, survolent ce que le champ psychanalytique décortique laborieusement. Le miracle de l’art tient dans ce court-circuitage dû à la condensation sur un symbole de multiples déterminations et discours.

En outre, une chose intellectuellement comprise n’est pas nécessairement psychiquement acquise, et c’est le grand intérêt, on pourrait dire prophylactique, des rituels ‑ ce qui est une dimension parfois négligée de la thérapie, son rôle préventif ‑ que de redonner à ceux qui les pratiquent l’occasion de revivre périodiquement, les points de passage obligés mais jamais définitivement maîtrisés par lesquels le sujet se dé-fusionne, se dé-psychotise, pour accéder à la culture humaine, c’est-à-dire au partage de la langue avec ses frères humains.

1 – Statues du temple de Chidambaram, dédié à Shiva, dans le Sud-Est de I’lnde.

2 – Corps et Possession, F. Schott-Billmann, Gauthier Villars, 1977.

3 – Danse, mystique et psychanalyse, marche sur le feu en Grèce moderne, F.Schott-Billmann, la recherche en danse, éd. Chiron, Paris 1987.

4 – Cet enfant crée déjà de l’art pour autant que ses productions représentent ce qui comble le manque.

5 – Voire les doigts avec le jeu « le premier l’a vu, le second l’a attrapé, le troisième I’a fait cuire, le quatrième l’a mangé et le tout petit (I’enfant) n’a rien eu »

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