Une anthropologie de la pureté

des situations d'interface

Publié le : 04 janvier 20176 mins de lecture

Nous nous intéressons aux situations de décalage, de démarquage tout autant d’ailleurs qu’à celle de recyclage et de récurrence. Notre propos est ici dialectique et vise à analyser des situations d’interface : être ou ne pas être membre, être ou ne pas être en accord avec la Nature. Au cœur de notre exploration: les structures culturelles.

Notre pêché originel est peut-être d’arriver dans un espace que nous ne percevrons que déformé, ce qui génère mille contre sens que la psychanalyse devra s’efforcer de désamorcer. Le plus souvent, nous ne perturbons pas trop le milieu environnant parce que d’office nous ressemblons physiquement à ceux qui s’y trouvent déjà sans parler d’un certain héritage génétique et d’une très grande capacité d’adaptation chez l’enfant. Mais il peut arriver que cette expérience de la naissance à un autre monde doive se renouveler au cours de notre existence alors que nous y sommes moins prédisposés intellectuellement et moralement et qu’en outre, nous ne ressemblons pas à ceux que nous voulons rejoindre… C’est la difficulté de cette expérience migrante que nous voudrions psychanalyser. Si jeunesse savait et si vieillesse pouvait.

Existentiellement, nous sommes donc a priori tous des « étrangers », ne serait ce que lorsque nous pénétrons dans un monde qui ne nous a pas attendu pour tourner.

De fait, en cela l’étranger est quelque part un « empêcheur de tourner en rond » : il y a en effet, quelque brusquerie, quelque violence, dans la problématique de l’étranger. Il brouille les cartes, il souhaiterait quelque part que tout se fige. On ne bouge plus…

Yves Lecerf[1], qui diffusa les thèses de Garfinkel en France, rappelait volontiers la convergence « objective » existant entre écologistes et partisans de Le Pen. Il faisait remarquer que ces « écolos » étaient en quête de pureté, voulaient un monde sans pollution. De la même façon, l’amour de la musique ne génère-t-il pas une certaine intolérance face à tout ce qui serait discordant ? Cette exigence « clean», propre, ne se retrouve-t-elle pas dans un certain discours sur les « émigrés » ? L’on disait autrefois, sous les Nazis, « judenrein », c’est à dire nettoyé, purifié, purgé des Juifs. Est-ce que la France, elle aussi, ne devrait pas être « dépolluée », est-ce que l’on n’est pas en droit d’exiger que son industrie nucléaire ou autre ne produise pas des « déchets » mal assimilables – dont personne ne veut – tant au niveau matériel qu’humain ? Au niveau biologique, il est également question d’immunologie (SIDA), de greffe, d’accoutumance (drogue), de rejet . En informatique, l’on parlera de systèmes incompatibles, l’on refusera toute redondance. La communication exige des messages clairs : ce qui est rouge n’est pas vert; il convient d’éviter toute confusion et se méfier des daltoniens. Que dire de la question du franglais qui pose le problème des mots étrangers en français, à cheval sur deux langues ? Quid, en économie, de la sensibilisation à un excès d’importation qui déséquilibre la balance commerciale ? Mais peut-on parler d’un « seuil » de tolérance ? Le problème de l’Etrangeté – concept qui n’existe pas à proprement parler et que nous voudrions introduire – du facteur inassimilable, perturbateur, me semble parfaitement convenir à la réflexion actuelle.

L’homme semble pris entre une recherche de cohérence et de pureté et une volonté d’appréhender et d’intégrer le monde tous azimuts. Le monde de la science ne génère-t-il pas, sans toujours s’en rendre compte, sinon le racisme, du moins une attitude critique à l’égard de l’étranger ? Peut-on fonctionner avec des dénominateurs communs trop larges ?

Il importe selon nous de distinguer radicalement les deux notions que sont racisme et xénophobie. Le racisme peut concerner des personnes qui ne sont pas pour autant des étrangers, c’est à dire qui ont un bagage culturel du même ordre que ceux qui ont une autre apparence. On peut être surpris d’entendre un Vietnamien parler le français sans aucun accent spécifique. Mais parfois l’étranger, ignorant tout de notre langue, peut, du moins superficiellement, ne pas être repéré comme tel, mais avoir une culture tout à fait distincte de la culture environnante. Qu’est-ce qui perturbe le plus d’une fausse différence ou d’une pseudo identité ?

Nous avons donc différents cas de figure : depuis l’étranger isolé, plus ou moins méconnaissable, jusqu’à une ethnie fortement représentée et aisément identifiable, comme cela se passe en Afrique. Au demeurant, l’intégration ethnique, raciale, poserait, en fin de compte, moins de problèmes au groupe d’accueil que l’intégration culturelle, individuelle. Par intégration, il ne faut nullement comprendre perte de différence mais mise en place d’une fonction nouvelle.

Il convient d’aborder ces problèmes sans préjugés, ni dans un sens, ni dans l’autre, car le problème du corps«étranger» se pose pour toute société, même les plus persécutées. Les Juifs n’ont-ils pas un discours sur ce qui est ou n’est pas « juif » (le goy),« judaïque » ? Mais ne sont-ils pas également conscients, par ailleurs, de la difficulté d’être étrangers ? Ne sont ils pas réticents à l’égard des conversions ?

On se proposera d’esquisser un «guide » de l’étranger, sous forme de recommandations, tant le concernant, qu’à l’adresse de ceux qui ont affaire à lui.

Notes
[1] – Il a dirigé jusqu’à sa mort, en 1995, un Laboratoire d’ethno-méthodologie à Paris VII/ Paris VIII.

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